À l’instar de personnalités aussi célèbres que Jean Marais, Dennis Hopper ou Antonin Artaud, Catherine Wilkening fait désormais partie du club des acteurs très restreint, à avoir réussi une double vie de comédienne et de plasticienne. Ses sculptures relèvent d’une esthétique néo-baroque singulière et féconde.
Dans sa production plastique, Catherine Wilkening développe à sa manière la problématique du corps si souvent questionnée par les artistes de la modernité. De ce corps pesant, identifié, photographié, filmé, sexué, signifié, numérisé, normé, soigné, et qu’il faut « bien » discipliner, nourrir, mettre en mots, habiller, enterrer, etc… La sculptrice semble se jouer de la beauté apollinienne dont elle a, si souvent, incarnée la figure féminine en offrande aux regards prédateurs d’un cannibalisme cinématographique mainstream. D’où sans doute la jubilation de l’artiste à enfanter des monstres, et d’éternelles adolescentes dont la puissance immature inquiète. Parfois, les œuvres de l’artiste deviennent de véritables ossuaires témoignant des restes d’une guerre poursuivie sans relâche à l’égard des grandes fabulations machistes qui peuplent nos mémoires – pas seulement cinématographiques…

De fait, les sculptures dévoilent souvent des figures de suppliciés mi- crucifiées, mi- terrifiantes, semblables parfois à des progénitures aux profils redoutables. Manifestement, le travail des matières naturelles, s’accompagne pour l’artiste de la réminiscence de sensations « primitives » et archaïques. Ce retour aux origines, Catherine Wilkening le décrit avec lyrisme :
« Avec une carrière de comédienne depuis l’adolescence, de multiples films cinéma et télé- un jour, il y a une vingtaine d’années, la nécessité de mettre les mains dans la matière organique s’impose à moi et me devient aussitôt vitale. La terre me ‘sauve’ la vie. Je la renifle, je la malaxe, je mets les doigts dedans, je la caresse des heures, je la froisse, je la brise, je la griffe jusqu’à ce que la forme jaillisse… Dans les premières années, des têtes hurlantes, des visages de femmes ou d’enfants griffés comme pleurant, des corps déchirés, lacérés, des mains jointes dans la prière. »
Cette révélation esthétique éprouvée au contact de la terre est d’autant plus vive qu’elle survient après plusieurs années d’« anesthésie » consécutives à une longue épreuve, dont elle a confié les enfers dans une autobiographie aussi troublante qu’authentique : Les mots avalés.

Pour sa seconde exposition chez Loo & Lou Gallery, dans le Marais, Catherine Wilkening nous embarque dans son univers baroque entremêlant avec brio une série de sculptures en formes de croix, de Madones, et autres Totems et phallus à la gloire d’un paganisme dionysiaque et lubrique.
Par l’exploration infinie du détail minuscule, le travail de Catherine Wilkening n’est pas sans évoquer certains artistes spirites opérant obsessionnellement en miniaturistes sur des formats immenses, pliant et dépliant leur composition à mesure qu’ils avancent en pratiquant une forme d’automatisme. Les sculptures sont parfois travaillées des centaines d’heures, manifestant une ascèse à laquelle se contraint l’artiste. D’où la dimension mantrique et hallucinatoire de certaines de ces pièces enfantées dans l’isolement du confinement, la sculpteure ayant fait sienne cette contrainte comme l’expression d’une thébaïde heureuse et protectrice où elle a pu se concentrer et intensifier sa pratique.

Like a Virgin porcelaine – feuille d’or – plâtre – 98 x 35 x 30cm
Des Madones qui n’ont plus rien de catholiques
En se concentrant, depuis plus d’une quinzaine d’années, sur la figure féminine avec ses thématiques universelles – naissance, vie, mort, et renaissance – le travail de Catherine Wilkening devait rencontrer la figure de la Madone, forme canonique de l’art occidental s’il en est. Dans cet exercice périlleux, l’artiste évite tout à la fois l’image de la beauté divine et mélancolique propre à l’idéal classique de la vierge chrétienne, et celle d’un lyrisme kitsch contemporain et provocateur, pour proposer une série de sculptures, pleines de ressacs et d’agitations, à l’image de cette autre beauté, dont on ne sait, si elle n’est que la fin ou « le commencement du terrible » entrevu par le poète Rainer Maria Rilke.

Il souffle sur les madones de Catherine Wilkening le vent d’une vie intense qui plisse les robes de porcelaine d’un geste baroque allant à l’infini. Décadentes et expressionnistes, chamaniques et lyriques, ces œuvres sont un hymne à une sensation ondoyante et fourmillante, une invitation à se défaire des habitudes d’un regard trop prompt à juger. Tantôt la sculpteure crée ex nihilo ses madones, à partir de l’érection de blocs de porcelaines miraculeusement assemblés – telle cette étrange pièce, Papillon, évoquant une version inquiétante du Golgotha. Tantôt l’artiste se procure d’anciennes sculptures existantes, souvent très anciennes, vouées au culte de la vierge marie, qu’elle détourne de leur destination œcuménique pour les réintégrer à son univers mystique et baroque. Elle les customise façon vaudou en les recouvrant de porcelaine et de verre, les parant de feuilles d’or et de branches d’acacia. Les pièces de grand format s’imposent par la création d’un espace formel qui semble happer la perception du spectateur.
Celui-ci est alors contraint de changer de « focale » au fur et à mesure qu’il se rapproche de la sculpture découvrant des mondes à l’intérieur des mondes, et des formes infinies enveloppées dans chaque pli de matière.

« Mortel-Immortel », Madone, Feuille d’or, bois, porcelaine, plâtre 2,10m
Le socle des sculptures qui semblait de loin une dentelle aérienne, s’avère être une accumulation de papillons. C’est un univers baroque ou chaque volute, chaque aile renferme une autre forme, et chacune des œuvres portent en elle un ensemble de mondes pliés les uns aux dedans des autres. L’artiste allant jusqu’à récupérer d’anciens fragments de sculptures avortées pour les intégrer à ses nouvelles œuvres. Catherine Wilkening dit rechercher « le monumental dans le minuscule ».
Elle conquiert la grandeur de ses œuvres en explorant toutes les possibilités de la miniature, enveloppant l’infiniment grand dans l’infiniment petit. Aussi les sculptures de Catherine Wilkening ne se déchiffrent pas d’un coup d’œil rapide, non, il faut les regarder longtemps pour pénétrer le sens de leurs formes. Les monstres, et les obsessions exquises de l’artiste se dérobent à nos yeux dans les dédales et l’extrême finesse des porcelaines, dont l’artiste a acquis le secret !
Mais sous l’apparente douceur et la consistance de l’émail blanc, la chasteté des vierges s’effrite vite pour le plus grand plaisir de nos âmes, laissant entrevoir la violence des scarifications fissurant la peau des céramiques, le foisonnement de motifs floraux, d’ossuaires d’animaux et d’accumulations de petits culs, expression d’une générosité de la vie qui prend sur elle tous les règnes de la création. Le recours par l’artiste à de nouveaux matériaux comme les feuilles d’or, le verre de Murano ou le bois d’acacia contribue à déjouer les reconnaissances sommaires. Le regard hésite entre l’élément aérien, végétal, animal. Le verre et la porcelaine deviennent d’étranges tissus enveloppant une Madone qui n’a plus rien de catholique !
Dernière exposition Le chemins des délices
Loo & Lou Gallery
du 6 février au 20 mars 2021
