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Charbon ; en choisissant de donner ce titre à sa nouvelle exposition à Loo & Lou Gallery, et à son installation pour la Nuit Blanche à l’Eglise Saint-Séverin, Lydie Arickx ne se limite pas à désigner le matériau qui a initié une partie des œuvres présentées, elle renvoie aussi à un entrelac de mémoire plus profond qui semble se nouer comme autant de sédiments passés de sa propre vie.

Charbon (triptyque), Lydie Arickx, 2021, Charbon sur papier, 304 x 335,4 cm

Le charbon ne renvoie-t-il pas à ce noir pays parsemé de terrils, peuplé du souvenir des mines et des corons, de ce nord de la France, notamment, où sa famille garde de profondes attaches ? N’évoque-t-il aussi ce fond d’images aux relents d’atavisme honteux, avec le travail des enfants et des « gueules noires » de Germinal, de la silicose, des cris des femmes de mineurs en grève, et des coups de grisou ? N’a-t-il pas servi de combustible à tout un imaginaire de la révolte sociale, celui d’un peuple qui « tonne en son cratère », et fera « bientôt éclater la terre » ?

En convoquant ce minerai chargé de tous ces fragments de vie humaine et végétale, le charbon n’étant qu’un extrait d’arbres fossilisés et de plantes compressés dans la nuit visqueuse des sous-sols de cette région, Lydie Arickx poursuit également son exploration des arborescences du vivant, tout en puisant jusqu’à la profondeur mystique de la peinture flamande. L’artiste, en allant littéralement au charbon, n’a donc pas peur de se coltiner à une matière qui n’est pas seulement entachée des salissures de l’anthracite, mais ô combien diabolisée par sa responsabilité dans le réchauffement climatique en cours. La peinte qui n’en est pas à son coup d’essai dans l’art du bricolage systématique, confie même son émerveillement devant ce nouvel ingrédient susceptible d’enrichir son laboratoire d’expérimentation plastique. 

Férue de cette « pensée sauvage », dont Claude Lévi-Strauss repérait « l’inscription, dans le monde pictural, de techniques considérées comme inadéquates, inacceptables, non professionnelles », Lydie Arickx recourt depuis longtemps aux matières les moins orthodoxes et totalement étrangères aux règles de la peinture académique, à l’instar de la craie, du béton, du plâtre, de la cendre, du drap, du métal, du Pyrex, de la résine, de la toile émeri, de l’herbe, ou de l’écorce.

C’est d’une manière impromptue, en se servant de ses vertus médicinales, qu’elle a découvert tout le potentiel esthétique de ce charbon végétal. En le mélangeant à de l’eau, il se diffuse au contact du papier et se répand en une multitude de gesticulations graphiques inattendues, dessinant un réseau veineux aux ramifications noueuses, aussi organiques que magiques. 

L’artiste trouve ici une nouvelle façon de réaliser le rêve d’un expressionnisme informel : celui d’une matière sans forme, indéfiniment malléable, sans armature et sans corset ; pareille à la lianescence de certaines plantes caraïbéennes, dont l’extrême versatilité se prête à toutes les transformations et déformations.

Se confronter à ces matières « brutes », devient pour la peintre comme pour l’écrivain, une manière de se ressourcer à cette « chaosmose » dont parlait le philosophe Gilles Deleuze.

D’où sans doute, ce plaisir manifeste à en « rajouter une couche », avec ce visage jaune, notamment, aux empâtements de matières conférant au tableau l’aspect d’un véritable «bas-relief » à la gloire matériologique.

En enrichissant perpétuellement la variété des matériaux de son vocabulaire plastique, l’artiste ne s’invente-t-elle pas une langue ouverte à la béance de la vie, à la manière dont Hugo va puiser à la « Bouche d’ombre » les illuminations de sa poésie ? Car pour la peintre comme pour le poète ne s’agit-il pas avant tout de savoir « contempler », en se faisant Voyant, à l’image de Michaux déclarant : « Le noir est ma boule de cristal. Du noir seul, je vois la vie sortir… » ?

Moins qu’un créateur de formes, l’artiste se fait médium et devient « un outil » permettant de communiquer avec le grand flux de la vie à travers les propriétés virtuelles d’un matériau. 

Les œuvres de Lydie Arickx participent pleinement d’une esthétique du jeu. Pour les apprécier, il faut sans doute s’inspirer du célèbre passage des Carnets de Léonard intitulé « Façon de stimuler et d’éveiller l’intellect pour les inventions diverses », et des « murs barbouillés de taches » d’où naissent « une infinité de choses que tu pourras ramener à des formes distinctes et bien conçues ».

De fait les dessins, les encres, les peintures, et les photographies de l’exposition Charbon semblent, très souvent, proposer des motifs semblables à ceux utilisés dans le test du rorschach, prompts à de multiples projections mentales, mais détournées ici de tout regard clinique – au profit du seul plaisir esthétique et ludique.

Ainsi des limbes, et des linéaments d’un lavis, un couple de personnages enlacés semble se former pour un instant au gré des méandres de l’encre.

En plaçant, l’œuvre Lydie Arickx sous la bannière duchampienne, ne pourrait-on pas dire, enfin, que dans cette exposition, ce sont (aussi) les regardeurs qui font la peinture ?

Installation pour la Nuit Blanche à l’Eglise Saint-Séverin

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