Florian Mermin pour sa seconde exposition solo à la galerie Backslash confirme la richesse plastique de son univers en conjuguant avec une rare délicatesse les intuitions environnementales de l’Arte Povera à une esthétique plurielle mêlant les frères Grimm et Freud, Cocteau et Penone, Jérôme Bosch et Frankenstein. Un vrai conte de Noël !

Florian Mermin est rentré aux Beaux-Arts de paris en 2010 où il a intégré durant deux années l’atelier de Giuseppe Penone, figure majeure de l’Arte Povera. S’il changea d’atelier pour aller dans celui de Jean Luc Vilmouth où il put puiser, selon ses propres termes, « à une plus large liberté en pouvant expérimenter une variété de pratiques et un goût pour des matériaux divers, sans distinction de genre – matériaux « nobles » ou matériaux « pauvres », Florian Mermin n’en reste pas moins inscrit dans ce fil aussi ténu que précieux d’une attention tenace aux thématiques en apparence les plus « modestes », dont l’Arte povera porte le signe, et questionne, avec une actualité toujours plus vive notre temps. L’importance des éléments végétaux et des objets issus de la sphère domestique, de ces matériaux « pauvres » souvent trouvés à l’état naturel dans leur environnement, telles ces branches d’arbres et de sapins présents dans l’exposition, participe d’une évidente attention aux enjeux environnementaux actuels, et prolongent le geste des artistes povéristes revendiquant une autre relation à la nature que celle instaurée par une société industrialisée et consumériste.

De fait, Florian Mermin n’hésite pas à faire entrer dans la galerie, terreau, écorces, bûches de bois, branches, pains de campagne, invitant le spectateur à se frayer un chemin entre les épines parfumées des sapins dans une ode sensorielle au vivant, tout en associant ces matériaux naturels, à des sculptures en métal forgé, céramique, ou en bois. L’esthétique de Florian Mermin est volontairement impure. Elle refuse de séparer l’art et la vie quotidienne, les œuvres et les objets vernaculaires. Tout est prétexte à susciter des rencontres susceptibles de bouleverser le « peu de réalité » poétique de nos perceptions quotidiennes. Ses expositions n’ont rien de frontales, mais se présentent à la façon d’une caresse, d’un parfum qui nous enveloppe. La rugosité des matières se mêle à la sophistication des références imaginaires et littéraires – celles de contes et de fables dont l’artiste se nourrit. Les tiges d’arbres et de sapins rappellent la forêt des contes des frères Grimm ou de Charles Perrault. Les cuirs qui composent un élément évoquent un instant l’assemblage du Frankenstein de Mary Shelley. La maison de céramique suggère la présence d’un ogre ou l’apparition d’une sorcière. Entrer, se perdre et disparaitre dans la forêt, c’est aussi se soustraire à la vie réelle de notre quotidien en pénétrant dans notre psychisme personnel.

C’est un art pluriel, bariolé, carnavalesque qui renoue avec une certaine enfance de l’âme dans laquelle sensations, sentiments, et idées participent d’une même excitation, conjuguant l’amour, le désir de savoir, et celui de toucher, embarquant le regard dans une aventure insouciante.
Le titre même de l’exposition Le Jardin des Lys ne sonne-t-il pas comme une référence explicite à Jérôme Bosch que l’artiste vénère ? Le maître flamand n’est-il pas ce peintre qui invite le spectateur à la dispersion, à l’errance en promenant son regard à travers ses tableaux, éparpillant les motifs, et les corps, dans un dédale infini ou le détail minuscule se dévoile impromptu comme le diable ? N’est-ce pas aussi le même goût des changements d’échelle qui transcende souvent les objets du quotidien, comme ce chapeau de paille ou cette araignée de bois brun ?

Pour cette seconde exposition solo à la galerie Backslash, ce jeune artiste diplômé en 2015 de l’École nationale des Beaux-Arts de Paris (avec les félicitations du jury), qui excelle dans l’art de la céramique et du métal, après s’être initié à la sculpture et l’installation depuis 2014, ouvre le pas du visiteur en l’invitant à traverser des épines parfumées de sapins. Cette entrée en matière ne joue-t-elle pas comme un rappel de piqure à la dualité qui associe si fréquemment l’expérience de la beauté à celle la douleur ; de la ronce à la rose – véritable leitmotiv de l’art de Florian Mermim ponctué de ces doigts en formes de griffes, et de ces bancs parsemés d’épines dignes de la féérie d’un film de Cocteau ?
Sans doute la bisexualité, dont on dit qu’elle est au cœur même de l’enfance en nous, traverse souvent les pièces de l’imposante Backslash gallery dans une remarquable cohérence, convoquant le thème fréquent du double et celui de l’inquiétante étrangeté de ces humeurs contradictoires, suscitée par ces objets du quotidien, que l’artiste s’évertue dans un geste parfois minimal à détourner l’usage convenu.


Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?
Toute l’exposition décline, au gré des œuvres présentées, un jeu discret, mêlant subtilement, jusqu’au plus intime de nos vies, la douceur à la violence, la peau au fourchu, ou d’une céramique dévoilant sa folle monstruosité griffue de noir dévorante !

Un art multisensoriel et transversal
À dessein, tous les sens sont abondamment convoqués reprenant ainsi le principe des artistes povera qui voulait dégager l’expérience esthétique de sa seule composante visuelle.
« Il est important que les spectateurs soient intégrés par les oeuvres, passent des rideaux, effleurent les sculptures qui sont disposées à sa portée. Je positionne les éléments de telle sorte que le visiteur soit guidé dans son déplacement. Je l’invite à une balade faussement tranquille car il peut déclencher par sa présence des sons comme ceux des pas dans le sable, il peut prendre une tasse de thé, sentir des odeurs de fleurs, de bougies ou même manger des bonbons. Par le fait que mes accrochages soient au niveau de toute partie du corps ou au niveau du regard, il se crée une sorte de frottement et une proximité avec les œuvres. »
Cet enrichissement sans pareil de la perception permet au spectateur de se mouvoir, entre plusieurs types de sens. Florian Mermin participe, ainsi, d’une esthétique du jeu qui enjambe joyeusement les frontières entre les arts, et illustre le propos du philosophe Gilles Deleuze considérant que « l’art est multisensoriel, transversal, et il implique toutes les fonctions perceptives, transcendant par la même le cloisonnement classique des cinq sens. »
De fait, au cours de la visite de l’exposition, l’expérience du regard si bien décrite par Sartre avec sa dimension mutilante du jugement réducteur, est sans cesse déjouée par l’épreuve de l’approche de l’œuvre mêlant sa dose de sensualité et de trouble repoussant, odorifère et tactile.
Né en 1991, Florian Mermin a étudié à l’Otis College of Arts & Design de Los Angeles et est diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts avec les félicitations du jury. Il a reçu plusieurs distinctions dont le prix de Fondation Sculpture/Installation des Beaux-Arts de Paris en 2016, le prix Kristal du Salon de Montrouge en 2017, le prix Planète art solidaire d’Art of Change 21 ou encore le prix Georges Coulon de l’Académie des Beaux- Arts et de l’Institut de France en 2021. Son travail a été montré dans de nombreuses institutions, notamment au Musée de la Chasse et de la Nature, à la Fondation Louis Vuitton, à la Cité Internationale des Arts à Paris, à Mains d’Oeuvres à Saint-Ouen, au Centre d’art contemporain Passerelle à Brest et également à l’étranger comme au Castello di Lajone près de Turin, au Flat 7 à Londres, à la Gallery 107 Los Angeles et à l’International Art Center à Séoul.
Après avoir été résident dans l’atelier du Pavillon des Indes à Courbevoie pendant deux ans, Florian Mermin vient de participer à la résidence de découverte Fondation Culture & Diversité en partenariat avec l’Académie de France à Rome et la Villa Médicis.
FLORIAN MERMIN
LE JARDIN DES LYS (NOS CHEMINS PARTAGÉS)
du 18 novembre au 18 décembre 2021