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Même si Florian Mermin n’a rien d’un artiste engagé, sa démarche témoigne pourtant d’un mouvement très profond s’inscrivant dans un soin particulier accordé à une certaine pauvreté, qu’il transfigure pour notre plus grand bonheur. Nous sommes dans un temps où l’attention à ce que Bourdieu avait nommé La Misère du monde nous revient avec une violence insoupçonnée et inédite, à la mesure sans doute du refoulement dont elle a fait l’objet, trop longtemps, depuis des décennies de la part de différents pouvoirs politiques.

Même si Florian Mermin n’a rien d’un artiste engagé, sa démarche témoigne pourtant d’un mouvement très profond s’inscrivant dans un « soin » particulier accordé à une certaine « pauvreté », et qui fut un temps l’une des caractéristiques du mouvement de l’Arte povera italien. Ce dernier constitue paradoxalement, aujourd’hui, la plus grande richesse de nombreuses collections d’art contemporain, à l’instar de celle du Centre Pompidou, et porte un éclairage insuffisamment reconnu sur notre présent, dont peu de mouvements artistiques historiquement « passés » peuvent se prévaloir.

Florian Mermin, Les rayons et les ombres, 2017 Métal forgé soudé et patiné 100 x 100 x 200 cm detail-assise

Florian Mermin est rentré aux beaux-arts de paris en 2012 où il a intégré l’atelier de Giuseppe Penone, figure majeure de l’Arte Povera, pendant deux ans. S’il a changé, très vite, d’atelier pour aller dans celui de Jean Luc Vilmouth où il put puiser, selon ses propres termes, « à une plus large liberté en pouvant expérimenter une variété de pratiques et un goût pour des matériaux divers, sans distinction de genre – matériaux « nobles » ou matériaux « pauvres », Florian Mermin n’en reste pas moins inscrit dans ce fil aussi ténu que précieux d’une attention tenace aux thématiques en apparences les plus « modestes », dont l’Arte povera porte le signe, et questionne, avec une actualité toujours plus vive notre temps. Pour cette première exposition solo à la galerie Backslash, ce jeune artiste diplômé en 2015 de l’École nationale des Beaux-Arts de Paris (avec les félicitations du jury), qui excelle dans l’art de la céramique et du métal, après s’être initié à la sculpture et l’installation depuis 2014, ouvre le pas du visiteur en l’invitant à traverser un rideau de laine que l’artiste a tissé lui-même.

Un choix qui n’a rien d’une quelconque coquetterie de façade, mais relève d’un choix très fort et désigne de sa présence insistante le souci de l’artiste au « faire » et à l’emprunt, ô combien, « povera » de cette laine qui recueille, en prélude à l’exposition, à la fois toute la dualité de ce matériau généralement destiné traditionnellement aux femmes, mais dont le jeune homme se réapproprie la richesse symbolique et sensible, en jouant sur la dualité des affects qu’il peut susciter.

« Ce rideau en laine que j’ai tissé moi-même » suppose, en effet, un travail hybride impliquant le choix d’un geste supposée féminin celui du tissage.

« La laine on la retrouve un peu partout dans l’exposition dans des oeuvres, parfois dans des installations, et surtout dans la grande tapisserie qu’on voit à l’étage, mais il y a aussi beaucoup de céramique, du bois, du branchage et d’autres matériaux naturels et industriels. »

Démocratiser l’accès à l’art

Sans doute la bisexualité, dont on dit qu’elle est au coeur même de l’enfance en nous, ponctue chacune des pièces des deux étages de l’imposante Backslash gallery dans une remarquable cohérence, convoquant tout à la fois l’inquiétante étrangeté de ces humeurs contradictoires suscitée par ces objets du quotidien, aussi simples et pourtant si mystérieux que l’artiste s’évertue dans un geste parfois minimal à détourner l’usage convenue, la signification redondante, reprenant un « parti pris des choses » salutaire dans un monde saturé d’images qui nous rend si lointain la présence familière. D’ailleurs, l’ancien lycéen à Sainte-Geneviève-des -Bois, issu « d’un milieu social modeste » n’a pu contredire le fait que les plus prestigieuses Écoles des Beaux-Arts soient investies, de fait, par la minorité la plus aisé de la population, qu’à la faveur du concours de la fondation Culture § Diversité, qui depuis son lancement, en 2006, tente d’infléchir ce déterminisme social si prégnant dans le domaine de l’art. Tom Laurent dans un article publié en 2014 dans la revue Art Absolument (Fondation Culture & Diversité démocratiser l’accès à la culture) avait, déjà, souligné l’importance de telle initiative, comme ce stage « Égalité des chances » auquel Florian Mermim a pu bénéficier, en 2009, au sein des Arts Déco de Paris, sans lequel, à l’instar d’un « coup de pouce » qui fait trop souvent cruellement défaut à nombre de jeunes potentiellement « artistes », ce jeune plasticien n’aurait pas pu intégrer la prestigieuse formation des Beaux-Arts de Paris. Ainsi, Florian Mermim rapporte « que la rencontre d’un professeur de volume durant ce stage lui a ouvert de nombreuses portes, de même que le soutien de la fondation, sous la forme de bourse et d’aides au logement ».

On ne peut qu’être ému, et presque effaré, en découvrant toute la richesse qui aurait été perdue sans le concours de ce stage « Égalité des chances ». Une leçon culturelle autant que politique en ces temps de vaches maigres !

À méditer…

Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?

Toute l’exposition décline, au gré des oeuvres présentées, un jeu discret, mêlant subtilement, jusqu’au plus intime de nos vies, la douceur à la violence, la laine à la haine, la peau au fourchu, celui d’un banc reposant hérissé d’épines, ou d’un bac à linge en céramique dévoilant sa folle monstruosité griffue de noir dévorante !

Dans un entretien avec Anaïd Demir en 2016, à la sortie de son diplôme, Florian Mermin insistait sur sa « dette » à l’égard de la psychanalyse et du surréalisme. Ce dernier s’impose, sans doute, comme sa référence la plus avérée dans son travail. Avec son goût du « faux-semblant, de l’apparence qui cache autre chose, un peu comme des masques. » L’artiste évoquait, d’ailleurs, cette Belle soupirante dont l’exposition n’est peut-être qu’une suite en forme d’apostasie ( le soir où tu m’a quitté…), sous la forme « d’un pot-pourri en céramique en forme de tête de sorcière. Ses cheveux sont en lierre et, dans sa bouche, il y a un tas de roses séchés qu’on peut sentir. Elle a une véritable présence humaine. J’aime bien la présenter de dos pour qu’on ait vraiment l’impression d’un pot. Et quand on tourne autour ; on découvre une autre partie du travail. Les choses tapies dans l’ombre m’intéressent aussi. Parce qu’on ne les voit pas au premier regard narration en décalage, où l’on rencontre escarpins en céramiques, terreau, et tapisserie végétale constituée de vêtements déchirés, laines et branchages. »

Les panthéons noirs de Lautréamont ou l’univers de Lovecraft ne sont guère loin ! La référence littéraire et poétique est omniprésente : Hugo, Rousseau…Le concept de «L’inquiétante étrangeté» de Freud opère, également, à plein régime en offrant aux visiteurs, avec un sadisme non feint, des sculptures évoquant les «

objets partiels » chers à Mélanie Klein, avec ces morceaux de corps humain ou d’animaux. Pièces trompeuses ! Images dans l’image ; mise en abime chères aux surréalistes dans lequel Florian Mermin excelle !

Derrière une forme se cache une odeur ou un touché surprenants. Un pot de fleurs se révèle un masque effrayant qui nous séduit par un fin parfum de pétales de rose qui émane de sa bouche.

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Un art multisensoriel et transversal

À dessein, tous les sens sont abondamment convoqués reprenant ainsi le principe des artistes povera qui voulait dégager l’expérience esthétique de sa seule composante visuelle.

« Il est important que les spectateurs soient intégrés par les oeuvres, passent des rideaux, effleurentles sculptures qui sont disposées à sa portée. Je positionne les éléments de telle sorte que le visiteur soit guidé dans son déplacement. Je l’invite à une balade faussement tranquille car il peut déclencher par sa présence des sons comme ceux des pas dans le sable, il peut prendre une tasse de thé, sentir des odeurs de fleurs, de bougies ou même manger des bonbons. Par le fait que mes accrochages soient au niveau de toute partie du corps ou au niveau du regard, il se crée une sorte de frottement et une proximité avec les oeuvres« .

Il s’agit d’enrichir la perception, permettant au spectateur de se mouvoir, entre plusieurs types de sens. Et Florian Meriem participe d’une esthétique du jeu qui enjambe joyeusement les frontières entre les arts, en brouillant ce qui relève du pictural et de l’écriture ; de l’audition et la vision, de l’adorât et du tact, etc. Il illustre, en ce sens, le propos du philosophe Gilles Deleuze considérant que « l’art est multisensoriel, transversal, et il implique toutes les fonctions perceptives, transcendant par la même le cloisonnement classique des cinq sens. » Si bien que la thématique supposée de la séparation amoureuse (Le soir où tu m’as quitté) en sous-titre à l’exposition semble plutôt un prétexte à une forme de narration suspendue – comme le dit, parfois, d’un jardin imaginaire.

« Avant cette exposition, j’avais créé des petits jardins toujours avec des sculptures que j’avais faites pour l’exposition, avec l’idée de réinvestir cette idée de jardin traversé par une histoire d’amour dont on ne sait pas qui sont les personnages qui la vivent ; avec une narration indécise et flottantes, avec des personnages en quête d’histoire, dont on ne sait pas si ce sont des humains, des animaux ou des végétaux . En fait cette exposition à BACKSLASH, Caresse de forêt (le soir où tu m’as quitté), renvie plutôt à cette idée du monde végétal qui m’inspire depuis longtemps, et la caresse évoque, évidement, la question du tact, et celle de l’élément sensoriel qui ne convoque pas uniquement le toucher, mais implique une expérience esthétique allant bien au-delà de la perception optique.»

De fait, au cours de la visite de l’exposition, l’expérience du regard si bien décrite par Sartre avec sa dimension mutilante du jugement réducteur, est sans cesse déjouée par l’épreuve de l’approche de l’oeuvre mêlant sa dose de sensualité et de trouble repoussant, odorifère et tactile. La référence au surréalisme est ici explicite, et plus particulièrement l’emprunt à une figure, quelque peu, oubliée de Meret Oppenheim, artiste femme, trop souvent, perçue comme la belle modèle passive et muette d’un Man Ray, incarnation de l’artiste mâle dominant la modernité esthétique – y compris celle du surréalisme ; cette référence est tout à fait pertinente et subtile !

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